dimanche 11 octobre 2009

Psychanalyse et idéaux humains.


Il n’est pas nécessaire d’être spécialiste pour constater que, dans notre société malade de ses mutations, la souffrance mentale progresse à grands pas et est en train de prendre la tête des dysfonctionnements de l’être humain. Augmentation des cas de dépressions graves, montée alarmante du nombre de suicides, particulièrement aux deux extrêmes de l’existence : ce sont les jeunes et les personnes âgées qui sont particulièrement touchés, avec une constante dans les facteurs déclenchant : celle de la solitude, de l’isolement, que celui-ci soit de nature sociale, culturelle ou autre.
Un peu comme dans la Fable des « Animaux malades de la peste », tous ne meurent pas, mais tous sont atteints !
Quelques chiffres pour nous en convaincre, si besoin est :
La Belgique, avec un taux de suicide estimé à 23 pour 100.000 habitants se situe au-dessus de la moyenne mondiale (14,5 pour 100.000 habitants).
Avec 2146 suicides sur un total de 103.800 décès en 1997, au niveau de l'ensemble de la population, le suicide est la 10ième cause de décès.  Il faut remarquer que si le suicide est la 10ième cause de décès au sein de la population générale, c'est la première cause extérieure de décès!  Cela signifie que, pour l'année 1997, chaque jour, en moyenne six personnes se sont suicidées en Belgique.
Le nombre de décès par suicide est donc bien supérieur au nombre de décès par accidents de la route, chutes accidentelles, et autres accidents. De plus, parmi les accidents de la route, des suicides sont parfois masqués.
Il existe par rapport au suicide toute une série d'idées reçues quant à la vulnérabilité particulière de certains groupes de personnes.  S'il est vrai que la problématique du suicide se pose avec plus d'acuité dans certaines classes d'âge, il touche toutes les couches de la population et toutes les classes sociales.
La différence la plus flagrante dans l'analyse des taux de suicide est la différence hommes - femmes.  Nous constatons en effet que, dans nos sociétés occidentales, les hommes se suicident deux à trois fois plus que les femmes.
Remarquons qu'en ce qui concerne les tentatives de suicide, la tendance s'inverse, puisque la proportion de tentatives de suicide est de 1 à 3 chez les hommes et de 1 à 14 chez les femmes.
Toujours selon les statistiques, les personnes les plus sensibles aux idéations ou aux comportements suicidaires sont souvent soit les adolescents soit les personnes âgées. De fait nous savons que la problématique du suicide se marque de façon importante aux deux extrémités de l'existence : un taux élevé de tentatives de suicide à l'adolescence pour un taux élevé de suicides chez les personnes âgées.  Autrement dit, si les jeunes et les femmes essayent plus souvent de mettre fin à leur jour, les hommes et les personnes âgées y arrivent plus souvent[1].
Données chiffrées[2]
La source principale d'information statistique concernant le suicide pour le pays dans son ensemble provient de l'Institut National des Statistiques (I.N.S.). Les informations dont il dispose concernent uniquement le suicide accompli. Contrairement à celui-ci, il n'existe en effet aucun relevé officiel des tentatives de suicide. Les données recueillies par l'Institut proviennent des certificats de décès rédigés par le corps médical (généralistes, médecins légistes, hôpitaux, etc.).
Les données les plus récentes dont nous disposons pour la population belge totale datent de 1997.  Des données plus récentes existent pour la Région Flamande (accéder au site de la Région Flamande ) et pour la Région de Bruxelles-Capitale (accéder au site de la Région de Bruxelles-Capitale ).
De façon générale, il semblerait que les chiffres disponibles sous-estiment le nombre réel de suicides. En effet, un certain nombre de ceux-ci ne sont pas répertoriés comme tel: par ex., certains accidents mortels de la route(suicide maquillé), des accidents du travail, les équivalents suicidaires (toxicomanie, alcoolisme, tabagisme, ...). De plus, dans certaines circonstances, les familles préfèrent éviter que le suicide d'un proche soit  déclaré officiellement. Dès lors, nous devons considérer avec précaution et circonspection les chiffres dont nous disposons.


On peut évaluer aujourd'hui le nombre de tentatives de suicide en Belgique à 200 par jour, et estimer à 7 le nombre quotidien de morts par suicide dans notre pays, soit environ 2500 morts par an. (700.000 morts par an dans le monde.) Le suicide est, avant les accidents de la route, la PREMIERE CAUSE DE MORT CHEZ LES JEUNES !


Des chiffres qui parlent d’eux-mêmes et font d’autant plus réfléchir que probablement, nous avons tous parmi nos connaissances ou nos proches quelqu’un qui a déjà évoqué la possibilité de son suicide, quelqu’un qui a « essayé » ou… qui a « réussi » !
Le suicide, présent à bien des degrés de la maladie mentale[3] n’est pas une alternative, pas plus qu’il n’est une volonté de mort. Tout au plus peut-on dire qu’il relève de la pulsion. Et dans la grande majorité des cas il recouvre plus une idée de faire cesser une souffrance trop grande et devenue insupportable.
Une souffrance qui cependant est et reste toujours curable, et pas seulement, même s’ils s’avèrent parfois indispensables, avec des médicaments. L’humain se soigne par l’humanité !
Le simple fait de parler, de dire ce qui lui pèse, l’obsède, le fait souffrir, et de pouvoir le dire à un « écoutant » neutre et bienveillant, qui ne porte aucun jugement, ce simple fait est extraordinairement libérateur. Mais sans doute est-ce aussi un des maux de notre société moderne : on ne prend plus le temps d’écouter, et on sait si bien cela qu’on s’abstient de parler puisque, de toute manière, ce que l’on dirait ne serait pas entendu, voire même serait… »mal-entendu » !
Le patient (j’entends ce mot dans son acception étymologique qui désigne quelqu’un en état de souffrance) n’ose guère franchir le pas, d’autant qu’il ne sait, en vérité, vers qui se tourner. Et le tiers qui pourrait intervenir dans l’apaisement de sa souffrance en lui prêtant une oreille attentive ne sait trop s’il peut s’autoriser à le faire, ni en quels termes, encore moins dans quel cadre !
C’est que tout est codifié, et de plus en plus. Tellement bien que pour un patient qui a fait l’énorme effort de vouloir faire appel à l’aide dans ce mal-être qui lui ronge le goût de vivre, commence bien souvent un véritable parcours du combattant. Pour lui comme pour ses proches d’ailleurs, si ces derniers s’impliquent dans son parcours.
Ainsi le père de ce jeune drogué qui un matin accompagne son fils, à bout de souffrances dans l’espoir de lui trouver un lieu où il puisse être valablement pris en charge, un praticien quel qu’il soit qui puisse l’écouter, le comprendre, lui venir en aide, et qui se voit confronté aux absurdités des « règles » médicales qui font qu’il ne trouvera, après bien des tentatives infructueuses qu’un pis aller qui in fine, précipitera le décès du jeune homme…
Ainsi ces dizaines de patients au bord du passage à l’acte, à qui on dit poliment qu’il faut attendre tant ou tant de semaines ou de mois avant d’être pris en charge.
Ou encore ceux et celles qui, faute de moyens financiers, parce que leur mal-être physique est intimement lié à leur précarité matérielle, ne savent se permettre même des soins dans des centres aux honoraires adaptés (et qui sont les premiers à être saturés !).
Certains professionnels de la santé mentale ont cependant franchi un pas : Ainsi une grande Association de Psychanalyse crée des centres où des patients peuvent êtres accueillis et entendus gratuitement par des psychanalystes qui, offrant leurs services et leur écoute sans rémunération de la part de leurs patients ne travaillent pas pour autant au rabais, que du contraire !
A une autre échelle, on voit aussi d’autres professionnels franchir les limites de leurs cabinets ou de l’Institution pour aller au devant de la souffrance humaine, la fréquentant au creuset même de sa genèse.
Je ne pense pas que les soins au personnes, en matière d’écoute, de relationnel, de bienveillance, de discrétion, de neutralité soient l’apanage de seuls « autorisés officiels », que leur qualité dépende du respect de règles en matière de cadre, de rythme ou d’argent. Tout est, je crois, question d’appréciation, au « cas par cas ». Question d’humanité, bien plus que de rigidité !
A mon patient à l’esprit plus que casanier et solitaire, à celui refusant tout ce qui se voit bridé par la conventionalité, qui –allez savoir pourquoi ?- est « allergique aux psys » et qui pourtant me demande une aide, vais-je refuser mon oreille sous prétexte qu’il refuse de venir se livrer dans l’espace clos d’un cabinet, et à fortiori de s’allonger sur un divan, et repousser son invitation si cordiale et expérimentalement intéressante de venir m’assoir à sa table pour discuter de tout et de rien ? Sous prétexte qu’il ne respecte pas les sacro-saintes règles ? Oserai-je prétendre que l’acte analytique, ô combien difficile à définir dans son absolu, ne puisse avoir lieu dans ces conditions ?
Vais-je refuser un patient sous prétexte que je le connais, directement ou par le truchement de tiers ? Vais-je refuser celui qui ne peut rien payer en argent, mais à qui pourtant il coûte tant de se mettre en question et de décider qu’il a besoin d’aide ?
Autant de questions que refuseront sans doute même de se poser les aficionados de la déontologie. Je ne leur en poserai qu’une : Quelle déontologie ?
Freud lui-même a analysé sa fille ; il a analysé Mahler en marchant, au cours d’une seule et unique séance - promenade. Il a rêvé à un lieu de soins accueillant et gratuit.
Dépassé, Freud ? Allons donc ! Relisez-le, ou lisez-le : vous découvrirez, entre les lignes, un homme qui fut un génie, mais aussi quelqu’un d’humain, de humble et d’attachant. Quelqu’un de terriblement actuel et interpellant. Et à sa suite, ceux et celles qui ont marqué l’histoire de la psychanalyse ne le furent pas moins, comme ils furent très souvent résolument innovants, malgré les sarcasmes de leurs détracteurs.
C’est en convaincu que je l’affirme : dans son non-conformisme, dans sa volonté de comprendre l’incompréhensible, la psychanalyse ressemble parfois à la quête d’idéal d’un Don Quichotte. Mais elle peut transfigurer des vies, et les transfigurer dans toute leur profondeur. Et c’est cela seul qui compte et qui la justifie.

Jean-Marie Demarque
Psychothérapeute - Analyste




[1] Source : Centre de Prévention du Suicide - Belgique
[2] Source : Centre de prévention du suicide - Belgique
[3] J’ai bien évidemment conscience que l’acte suicidaire n’est pas seulement un corollaire de la maladie ou de la souffrance mentale. La souffrance physique peut aussi y mener. Et je fais abstraction, dans cet article, des cas de « suicide héroïques ».

Le malade alcoolique et son entourage

Le sujet n'est pas facile et mérite pourtant que l'on s'y attarde. Tant pour les "acteurs" de cette addiction, que pour ceux qui en sont les spectateurs, souvent soffrants les uns et les autres, d'une souffrance d'autant plus vive qu'elle reste indicible dans bien des secteurs de notre société.
Une petite remarque d’abord : j’emprunte cette expression de « malade alcoolique » au livre du Docteur Gueibe, médecin psychiatre, intitulé « L’alcoolisme au quotidien », publié en 2008 aux Editions Seli Arslan à Paris.
Le Docteur Gueibe est psychiatre de liaison dans un hôpital général en Belgique, psychologue de la santé et formateur à l’Institut Perspective Soignante à Paris.
Pourquoi cette expression, pourquoi ne pas parler plus simplement de « l’alcoolique » ?
Pour deux raisons essentielles : la première, parce que dans notre contexte socioculturel, l’alcoolisme est grevé d’une lourde charge d’immoralité, d’une image de déchéance, d’absence de volonté, de paresse, etc… Dans l’esprit de nombreuses personnes prétendument « bien pensantes », c’est une insulte, associée à une foule d’images plus ou moins négatives.
La seconde, c’est parce que justement, l’alcoolique est un malade, et que comme n’importe quel malade, il est d’abord quelqu’un qui souffre, qui a droit à notre respect et à nos soins, d’autant plus qu’il n’a pas, plus qu’un autre malade, « voulu » sa maladie, même si, inconsciemment, il s’est exposé à un risque d’autant plus sournois qu’il concerne tout le monde et que l’alcoolisme peut frapper n’importe qui ! Tout comme le cancer ou les maladies cardio-vasculaires. Nous viendrait-il à l’esprit d’insulter ou de mépriser l’un de ces malades ? Certainement pas ! Alors pourquoi nombre de personnes le font-elles à l’encontre du malade alcoolique ? En raison d’idées aussi fausses que reçues, d’un manque d’information, mais aussi d’un manque d’humanité et… d’intelligence !(les deux vont souvent ensemble, hélas.)
Le malade alcoolique souffre et fait souffrir.
D’abord il souffre de dépression, induite ou inductrice, pré-existante ou conséquente à son alcoolisme. Quelqu’un qui a enduré un choc psychologique et qui pour une raison connue de lui seul, liée à son statut professionnel ou social, ou encore à sa personnalité, veut « jouer les forts » ressentira d’autant plus les effets de la dépression. Mais il n’ira évidemment pas consulter… L’alcool est là, comme antidépresseur très efficace, facile d’accès et de plus culturellement admis. Des timides, des phobiques peuvent tout aussi bien y avoir recours parce que c’est un désinhibiteur efficace. Mais c’est aussi un dépresseur, et un destructeur terrible et sournois de notre santé physique et mentale. Je ne m’étendrai pas sur ce sujet, déjà abordé dans un autre article[1]. Je préfère aborder ici quelques un des effets de l’alcool sur la vie du malade et celle de son entourage, avant, pendant et après la « crise ». Une « crise » que je mets entre guillemets car ce n’est pas vraiment le bon terme et surtout parce qu’elle peut durer des années et détruire tout aussi sûrement le malade que sa famille!
Souvent, mais pas toujours tout de suite, et jusqu’à un stade parfois avancé de la maladie, seule la famille remarque qu’il y a un « problème ». Petit à petit, la personnalité du malade change : il n’est plus celui ou celle que l’on a connu. Son comportement change, il se montre souvent agressif, voire franchement violent. Il se révèle aussi très dépensier (l’alcool coûte cher et de plus mène très souvent à des comportements compulsifs en matière d’achats – parfois d’ailleurs pour « se faire pardonner »)et surtout imaginatif. Il n’a pas son pareil pour se procurer sa dose, ni pour cacher ses réserves, ni même, en raison de son « entraînement » pour paraître « normal » alors qu’il est sérieusement « imbibé ».
A ce stade du piège, malade et famille vivent un véritable enfer, d’un point de vue différent sans doute, mais qui a un point commun : celui de sembler sans issue !
Inutile pour les proches d’essayer d’empêcher le malade de boire. Inutile et même dangereux car il peut en mourir ! Inutile aussi pour le malade de se dire « demain j’arrête », ou d’envisager de diminuer sa consommation : il ne saurait y arriver seul, sans aide ni sans soutien médical et psychologique. Mais il y a toutefois déjà un point positif : le malade a pris conscience de son état et voudrait en sortir : Le jour où de lui-même il se reconnaîtra « malade alcoolique », il aura fait un pas décisif vers sa « libération ». Remarquez bien que je ne parle pas de guérison !
Nous sommes ici à la charnière qui articule « l’avant-pendant » à « l’après ».
Le malade a reconnu sa maladie. Il s’est lui-même reconnu dépendant de l’alcool, alcoolique.
Il va pouvoir se faire aider, et surtout sortir de ce qui lui paraissait être un tunnel sans fin.
D’abord par l’entremise de son médecin traitant qui saura l’écouter sans le juger, le conseiller et lui proposer un suivi et une médication appropriée. Cette dernière sera constituée en général, d’un médicament contre les effets du manque (à prendre souvent à long terme) et de benzodiazépines à court terme. Ce traitement pourra être prescrit en ambulatoire ou, pour un temps de quelques jours à quelques semaines, d’une hospitalisation. Cela dépend surtout du malade et de sa volonté de s’en sortir, volonté qui elle-même dépend de sa prise de conscience. Il est possible, pour un malade vraiment motivé, et à la condition expresse qu’il soit traité médicalement (je rappelle que dans le cas d’un sevrage brutal et forcé, il y a un réel risque mortel !), d’arrêter totalement, du jour au lendemain, et de se tenir à une abstinence définitive.
En effet, cette dernière condition est indispensable : on ne guérit pas de la maladie alcoolique ! On vit avec. Et on peut vivre très bien, tout à fait normalement, en récupérant toutes ses capacités physiques et intellectuelles ou mentales, mais le malade alcoolique l’est à vie et ne pourra PLUS JAMAIS boire une goutte d’alcool. C’est un produit auquel il est définitivement devenu allergique !
Seconde aide nécessaire : celle d’une psychothérapie de soutien, voire d’une psychanalyse, selon le cas et aussi le désir du malade.
Cette aide psychologique est nécessaire parce que le malade a besoin de se dire, de pouvoir parler de sa souffrance, tant passée que présente, cette dernière étant principalement liée à ce qu’il perçoit chez ses proches comme une froideur, un manque d’encouragement, de reconnaissance, de confiance, voire même comme un rejet.
Cette attitude des proches est fréquente et normale. Elle est aussi compréhensible.
Durant des années parfois, le malade alcoolique a eu un comportement inadapté. Il a « fait des conneries » dont les conséquences inévitables peuvent se faire encore ou seulement sentir alors qu’il a opté pour l’abstinence et s’efforce de s’y tenir. Lui, ressent ce manque de confiance, cette rancœur et ces reproches comme une grande souffrance, qui lui paraît d’autant imméritée que très souvent il n’a pas la souvenance de ce qu’il a pu faire ou dire lorsqu’il buvait…
Et puis il n’est plus la même personne, ni la même personnalité : il est devenu lui-même, quelqu’un que ses proches, peut-être ne connaissaient pas ou ont oublié. Et cela peut s’avérer pour eux aussi difficile à vivre.
C’est pourquoi je pense que, dans un tel cas, une psychothérapie de soutien devrait être familiale. Mais il n’y a pas de vraie recette en la matière. Au risque de sembler être un doux rêveur je dirais qu’il n’y a que l’amour qui puisse vaincre toutes ces embûches. Nul, quel qu’il soit, ne pourra jamais rien changer au passé. Seul importe le temps présent ! L’abstinence, pour le malade alcoolique, est comme une nouvelle naissance, le début d’une nouvelle vie. Ses proches, plus que n’importe qui ont le pouvoir de l’aider et de progresser dans cette vie nouvelle porteuse d’avenir et d’espérance.

Jean-Marie Demarque
Psychothérapeute-Analyste

samedi 10 octobre 2009

De la lettre à l'Esprit (1)

DE LA LETTRE A L’ESPRIT

Quelques réflexions, à propos des lettres hébraïques…

Introduction

 



C'est à juste titre que le lecteur pourra s'interroger sur un tel titre, et sur son objet : celui d'une relecture de textes hébraïques fondateurs, au départ de la Tradition qui considère chaque lettre de l'alphabet hébraïque comme une entité dotée de vie et revêtue de facettes multiples.
Un voyage certes inattendu, mais auquel je vous convie avec enthousiasme, sachant d'avance que si vous acceptez de le vivre, vous ne le regetterez pas.

 En avant donc, "kadima" pour cette aventure initiée par l'auteur même du Livre des Façonnements, le "Sefer Yetsira". Nous verrons peu à peu, au gré des étapes ponctuées par chaque lettre, quel rapport cette réflexion peut avoir avec la psychanalyse et, peut-être nous surprendrons-nous à nous interroger sur le fait que cette dernière soit née des réflexions d'un homme parfait agnostique, voire athée, mais resté profondément et essentiellement, au sens fort et noble du terme, un Juif, et qui plus est un "Juif Pensant' !

Quelques extraits de textes, pour leur beauté littéraire et en guise de "mise en bouche :

  • Au commencement était le Verbe, et le Verbe était tourné vers Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement tourné vers Dieu. Tout fut par lui, et rien de ce qui fut, ne fut sans lui. En lui était la vie et la vie était la lumière des hommes, et la lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point comprise. (Jn 1 :1-5)

  • "N’allez pas croire que je sois venu abroger la Loi ou les Prophètes: je ne suis pas venu abroger, mais accomplir. Car, en vérité je vous le déclare, avant que ne passent le ciel et la terre, pas un i, pas un point sur l’i ne passera de la loi, que tout ne soit arrivé. Dès lors celui qui transgressera un seul de ces plus petits commandements et enseignera aux hommes à faire de même sera déclaré le plus petit dans le Royaume des cieux; au contraire, celui qui les mettra en pratique et les enseignera, celui-là sera déclaré grand dans le Royaume des cieux. Car je vous le dis: si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des Pharisiens, non, vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux. (Mt 5 :18-20)

  • Apocalypse 1:8 Je suis l‘Alpha et l‘Oméga, dit le Seigneur Dieu, celui qui est, qui était et qui vient, le Tout-Puissant.
  • Apocalypse 21:6 Et il me dit: C’en est fait. Je suis l‘Alpha et l‘Oméga , le commencement et la fin. A celui qui a soif, je donnerai de la source d’eau vive, gratuitement.
  • Apocalypse 22:13 Je suis l‘Alpha et l‘Oméga, le Premier et le Dernier, le commencement et la fin.[1]
« Je suis l’Aleph et le Tav, l’ensemble des lettres hébraïques, le Verbe fait chair, la Parole Créatrice, révélation incarnée de Celui qui est tout et par qui tout est ! » 
C’est ce que semble déclarer en substance le Christ, dont les dits nous sont rapportés par des Ecrivains Sacrés qui connaissaient intimement la « clé » des Ecritures, le secret, le sens caché, l’Esprit de la Lettre, parce qu’ils en étaient pétris, comme l’était aussi l’auteur de cette savoureuse histoire, qui nous est transmise par le Zohar :

« … Avant la Création du Monde, les lettres, les 22 lettres existaient déjà. Mais elles demeuraient mystérieuses et decrètes, cachées aux profondeurs des arcanes divins. Lorsque Dieu prend la décision de créer, voici que les lettres se mettent en mouvement et, telles les 22 princesses d’un cortège royal, elles s’avancent l’une après l’autre, vers le trône divin. Mais elles se présentent dans l’ordre inverse de celui de l’alphabet normal ; si bien que c’est le Tav, la dernière, qui, de fait, effectue la première son entrée et présente, la première, sa requête[2] :

-Maître du Monde, de grâce, sers-toi de moi pour faire ta Création. Ne suis-je pas la lettre qui achève le mot qui est gravé sur ton sceptre : le mot de « Vérité[3] » ?

- Tu es, en effet, digne, répond le Saint, béni soit-Il. Mais il ne convient pas que je me serve de toi pour faire la création du monde, parce que tu es destinée à être marquée sur le front des hommes fidèles qui auront observé ma loi, depuis le Aleph jusqu’au Tav, et aussi parce que tu formes la lettre finale du mot « mort[4] » ; pour ces raisons, il ne me convient pas de me servir de toi pour faire la Création du monde.

Et la lettre Tav de se retirer… Que pouvait-elle répliquer ?
C’est le tour de la lettre Shin. Elle se présente et se prévaut de constituer l’initiale du Nom divin.

- Il convient que l’on se serve de l’initiale du nom sacré Shaddaï[5], pour faire la Création du monde.

- En effet, répond le Saint, béni soit-Il, tu es digne, tu es bonne et tu es vraie. Mais des faussaires se serviront de toi pour affirmer les pires mensonges, en t’associant les deux lettres Qof et Resh, pour former le mot « mensonge[6] » (…)

Et la lettre Shin se retira, tandis que ses compagnes Qof et Resh n’osèrent même pas se présenter !

Toutes les autres lettres défilent ainsi, tour à tour, alléguant chacune ses droits et ses propres qualités la rendant spécialement apte pour être l’outil privilégié de la Création du monde. Et, chaque fois, le Saint, béni soit-Il, rétorque par un argument irréfutable qui brise toutes leurs prétentions. Nous arrivons ainsi à l’avant-dernière lettre, la lettre Bet.

- Maître de l’Univers, qu’il te plaise de te servir de moi pour faire la Création du monde, car je suis l’initiale du mot dont on se sert pour te bénir, « Barouch[7] ».

Et le Saint, béni soit-Il, lui donne –enfin- raison :

- C’est, en effet, de toi que je me servirai pour inaugurer la Création du monde, et tu seras ainsi la base de toute « l’½uvre de la Création ».

Et la lettre Aleph, la toute dernière, c'est-à-dire la toute première, qu’est-elle devenue ?

Elle demeura à sa place, sans se présenter.

- Aleph, Aleph, pourquoi ne t’es tu pas présentée devant moi, comme toutes les autres ?

Et Aleph répondit :

- Maître de l’Univers, voyant toutes les lettres se présenter devant Toi inutilement, pourquoi me serais-je présentée aussi ? Puis, comme j’ai vu que tu as déjà accordé à la lettre Bet ce don précieux, j’ai compris qu’il ne sied pas au roi céleste de reprendre le don qu’il a fait à l’un de ses serviteurs pour en gratifier un autre.

Le Saint, béni soit-Il, s’écrie alors :

- Ô Aleph, Aleph, bien que ce soit la lettre Bet dont je me servirai pour faire la création du monde, tu seras la première de toutes les lettres et je n’aurai d’unité qu’en toi ; tu seras la base de tous les calculs et de tous les actes faits dans le monde, et on ne saurait trouver d’unité nulle part, si ce n’est dans la lettre Aleph ! [8]

Lorsque selon les traditions communes aux trois "religions du Livre", Dieu se révèle à Moïse, lorsqu’il lui fait don de la Loi, de la Thora, terme qui signifie « élever , éduquer », il lui remet, selon la Tradition, le texte Ecrit, ainsi que la « Loi Orale », qui vient le compléter, et surtout l’expliciter, le magnifier. Ce faisant, il lui remet des clés indispensables pour pouvoir atteindre un niveau de compréhension du Texte Sacré que, bien souvent nous n’imaginons même pas, d’autant plus que ce dernier ne nous est, la plupart du temps, accessible qu’au travers de traductions qui sont toutes, à des degrés plus ou moins graves, des trahisons.

Un ouvrage célèbre de la Kabbale, le « Livre de la Création »[9], s’ouvre en ces termes :

« Par trente-deux voies merveilleuses de sagesse, Dieu a tracé et créé le monde par les trois sens de la racine SFR[10] : le Livre écrit, le nombre, et le récit oral. Trente-deux voies merveilleuses de sagesse : les dix séfirot[11] et les vingt-deux lettres de l’alphabet »

Dans la ligne de pensée de la Tradition, Dieu aurait créé –ou plutôt crée !- tout ce qui existait, existe et existera par son seul verbe. Il dit et cela est ! En Araméen, cela donne une expression que nous connaissons bien, sorte de formule magique que la croyance populaire a attribué aux sorcières ou aux fées : « Abracadabra » ! Ceux qui ont quelques notions d’hébreu y reconnaîtront aisément les deux racines verbales de bara, « créer », verbe dont Dieu seul est sujet dans les écrits bibliques, et de Dibèr[12], « parler ». Encore qu’en hébreu correct il nous faudrait avoir « Abracaamra », le verbe Amar[13], que l’on reconnaît en fin de cette expression se rapportant plus explicitement au dire « créateur ». Dibèr (ou Dabar) se réfère plutôt à un dire « organisateur ». Mais peut-on dissocier création et organisation ? N’oublions pas que la création de ce qui va peupler la terre et l’univers succède au chaos, au Tohu va Bohu[14] , qui donnera, dans notre langue française une autre expression pour désigner un grand désordre ! Le Créateur, après son acte initial du commencement, se révèle être un Organisateur !

Le Peuple Elu a tellement bien compris la profondeur et la magnificence de ce mystère, qu’il a logiquement associé la lettre hébraïque à l’esprit même de Dieu, et lui a conféré un caractère totalement sacré, une réelle puissance de vie. Lorsque nous disons de l’Ecriture qu’elle est « Parole de Vie », nous n’en prenons pas vraiment la mesure. Le sens profond de cette expression "consacrée" va infiniment plus loin qu’une « simple » référence à un acte créateur passé ou lointain : cela se manifeste dans une réelle continuité, continuité créatrice, et continuité de dialogue entre le Créateur et le créé.
Mieux encore, pour les Kabbalistes comme pour les Hassidim, l’univers créé, dans sa dimension matérielle, son agencement, la manière dont il s’offre et se montre à notre perception humaine, repose entièrement sur la structure de l’alphabet hébraïque

Autant de bonnes (ou de très bonnes !) raisons pour essayer d’apprendre au moins à lire l’alphabet hébraïque, pour tenter d’assimiler les rudiments de la grammaire de l’hébreu, pour essayer d’en percevoir les subtilités qui, autrement, risquent de nous échapper totalement.

Jean-Marie Demarque
Psychothérapeute - Analyste

[1] : Sauf mention contraire, les citations sont celles de la TOB, dans son édition intégrale, Cerf, Paris 1975.
[2] : Comment ne pas penser aussi à cette phrase de Jésus qui, évoquant le jugement de ceux qui se présentent devant le trône divin déclare que « les derniers seront les premiers » ?
[3] : en hébreu, « Emet », tma .
[4] : en hébreu, « mavet », twm .
[5] : En hébreu : ydS .
[6] : en hébreu, « sheqer », rqS .
[7] : En hébreu, Kwrb .
[8] : Zohar, traduction citée par Renée de Tryon-Montalembert, reprise par Marc Alain OUAKNIN, dans son ouvrage intitulé « Mystères de la Kabbale », éditions Assouline, Paris, 2000, p. 274-276. Les autres extraits de cet ouvrage, ou les passages s’en inspirant seront dorénavant référencés « MK, Op.Cit, P. …)
[9] : Le lecteur trouvera, plus loin, une traduction et un commentaire du Sefer Yetsira.
[10] : rien à voir, bien évidemment, avec un réseau de téléphonie mobile bien connu de nos voisins français ! Il s’agit de la racine hébraïque du mot hébreu qui désigne généralement le livre, l’écrit, ou encore le scribe, et qui s’écrit, en hébreu rpo.
[11] : ce terme, désignant les « sphères » sera explicité le moment voulu. A noter qu’il ne prend pas de « s » car il s’agit d’un pluriel féminin hébreu (ot). Le pluriel masculin se forme généralement en « im ».
[12] : En hébreu, rma .
[13] : En hébreu rbd .
[14] : Gen 1 :2

vendredi 9 octobre 2009

La première famille humaine selon la Bible : un bouillon de culture psychopathologique!

Le Livre de la Genèse, celui des « Commencements », Bereshit en hébreu selon la pratique qui veut qu’un livre biblique soit nommé du premier de ses mots, contient, outre des histoires bien connues de tous et qui sont devenues pour beaucoup des « vérités premières », certains passages qui, par delà les préjugés ou les croyances que d’aucuns préfèrent nommer « foi », posent de singulières questions, questions qui obligent d’une certaine façon le lecteur honnête et un tant soit peu objectif à…se « remettre en question » !
C’est le cas, me semble-t-il de la fameuse histoire de Caïn et d’Abel, fils premiers nés de la supposée première famille humaine.

Examinons la d’abord dans ce qu’aujourd’hui on appellerait sa « composition » :

Au départ, si l’on en croit les deux premiers versets du chapitre 4 du Livre de la Genèse, c’est une famille classique, qui a pour patronyme « genre humain », et qui est composée d’un père, d’une mère et de deux enfants mâles. Une famille relativement « classique » si on la met en parallèle avec la famille « type » moderne. Tout semble donc aller pour le mieux dans le meilleur des mondes, voulu selon le récit par un « Dieu » sorti d’on ne sait trop où et dont les intentions, si elles paraissent à première lecture clairement explicitées dans les premiers chapitres du Livre sont quand même pour le moins obscures et ne peuvent que nous faire légitimement poser la question d’un « pourquoi ? ».

En effet, et contrairement à d’autres récits du même genre, on ne sait tout d’abord pas d’où vient ce « Dieu » omnipotent et transcendantal, radicalement différent de l’humain, ni surtout pourquoi il agit comme il le fait ! Peut-être qu’Il s’ennuie, tout seul, surtout qu’il est « l’Unique », et qu’il n’opère que pour tromper son ennui, un peu comme un modéliste s’escrimant à réaliser la maquette la plus parfaite possible d’une réalité qui lui serait, sinon propre, à tout le moins très proche.
Mais peut-être aussi que la vraie particularité de cet « humain » qui doit être le « sommet » de sa création est justement de se l’être purement et simplement « inventé » dans une sorte de quête insatiable du Père… En clair, il nous faudrait alors admettre que ce n’est pas Dieu qui a créé l’homme, mais l’inverse, parce que cela répondait en lui à un besoin aussi essentiel qu’existentiel, dans l’acception la plus forte des deux termes !

Mais laissons ici ce qui n’est pas aujourd’hui notre propos et revenons à notre famille initiale. Et pour ne pas déroger aux conventions machistes encore en vogue sur nos registres d’Etat Civil, commençons par en examiner le « chef », c’est à dire le père.

Adam.

Déjà, ici, on est « mal barrés » : notre « père Adam » comme certains se plaisent à le nommer est justement un être dépourvu de nom : il est, stricto sensu, d’après le texte hébreu de la Bible, le « Genre Humain », une notion à la fois précise et vague et outre le fait que, lui offrant la possibilité de faire l’économie d’un nom véritable elle lui donne aussi celle d’échapper à une véritable personnalité, outre qu’elle le désigne d’emblée comme bisexué. Que je sache, le « genre humain » est encore bien composé de nos jours, d’hommes et de femmes, de garçons et de filles, de mâles et de femelles…

De fait, je crois qu’on peut tout à fait, et très objectivement, parler d’une « bisexualité » d’Adam, chose qu’envisagent par ailleurs clairement Josy Eisenberg et Armand Abecassis dans un de leur dialogues « A Bible Ouverte ».

Voilà sans doute qui déjà fera rugir certains gardiens d’une prétendue morale de l’ordre de celle qui condamne les homosexuels et leur dénie le droit à l’amour, à l’épanouissement et au désir d’enfant. Des gardiens de la norme qui soit dit en passant s’apparentent souvent de fort près à ceux qui au nom d’une prétendue pureté de leur race n’ont pas hésité à éliminer les handicapés, les malades mentaux, les homosexuels, les tziganes, et (au bas mot !) six millions de Juifs…

Notons aussi au passage que l’être humain est apparemment, le seul animal de la classe des mammifères à transiter, à un moment précis de son développement fœtal, par un stade où il n’est ni mâle ni femelle , tout en étant les deux à la fois. Ce qui semblerait engendrer chez le « petit d’homme » une réminiscence se concrétisant dans son subconscient par une nostalgie d’un état perdu, un « manque », ce même manque que Lacan caractérise comme « phallique » et qui se trouve, pour « faire court », à l’origine de chacune des trois folies qui caractérisent son école :

• Folie du « moi ».
• Folie « Phallique ».
• Folie « pulsionnelle".

Trois folies qui se retrouvent dans cette histoire finalement fort peu banale de la première famille humaine et qui toutes semblent satellisées autour de deux problèmes particulièrement cruciaux et interconnectés de notre société moderne : ceux de la condition de la femme et du rôle du père .

Enfin, et pour compléter le tableau, il me semble que le moins qu’on puisse dire d’Adam, c’est qu’il est un « fou du moi », un père absent et démissionnaire. En plus, si l’on en croit un « Midrash » que l’on évoquera plus loin, il semblerait bien être le tout premier « cocu » ! Un prototype du looser ? Guère flatteur pour ceux des nôtres qui se réclament de lui !
La saga biblique nous le montre tour à tour, après la « chute », jouant au petit jeu du « ce n’est pas moi, c’est l’autre », fuyant ses responsabilités et honteux de la nudité à la fois psychique et physique qu’il semble seulement découvrir ; ce n’est pas à lui non plus que revient le rôle de nommer ses enfants et, le fait est qu’il n’interviendra en rien dans le conflit qui va les opposer.

Eve.

Un dictionnaire biblique protestant, assez bien fait, ou en tous les cas accessible à tout un chacun donne, sous le nom de « Eve » une première définition succincte : « Femme d’Adam dont le nom est à rapprocher du mot « vie » ou « qui donne vie ».

Fort bien, on s’en doutait quelque part, mais voilà qui fait d’elle aussi forcément une anonyme, une sans-nom, une personne sans personnalité réelle. Sûrement, il lui manque quelque chose, mais elle va bien vite le trouver, voire l’acquérir.

De par sa "connaissance" avec Adam, selon la Bible , de manière fort différente, selon un midrash . J’aime bien les midrashim, peut être à cause d’une vieille passion pour la culture juive, certainement parce qu’ils osent aller plus loin que la lettre, quitte à la transgresser, faisant souvent preuve d’un esprit qui vivifie là même où la lettre, parce qu’elle enferme et normalise, tue.

Le midrash dont il est question nous rapporte ceci : Lorsque Adam et Eve furent créés, ils formaient un être androgyne possédant un seul corps et deux visages. Dieu les sépara en leur donnant un dos de façon qu’ils puissent se voir « face à face ».
Le Talmud , lui, est plus « osé » dans l’un de ses passages, rapporte, lui, que Dieu prit part au mariage d’Eve avec Adam, et les unit en présence des anges qui manifestèrent leur joie par des chants et des danses. Satan, qui par le truchement du serpent (un bien curieux symbole, fort évocateur de ce qui va suivre) incita Eve à transgresser l’interdiction divine de manger du fruit défendu de l’Arbre de la Connaissance du Bien et du Mal, s’accoupla avec elle et engendra Adam, alors qu’Abel, lui, le « moins que rien » -on verra plus loin pourquoi- était clairement le fils d’Adam.

Mais la même tradition nous apprend que depuis, aucune génération n’est à l’abri des entreprises de Lilith, première véritable épouse d’Adam, sorte de démone qui se sépara de lui parce qu’elle refusait de lui être soumise , ou encore première Eve qui, parce qu’elle avait péché, fut remplacée par une Eve nouvelle. On attribue depuis à Lilith la responsabilité des maladies et des morts des nourrissons.

Mais d’un autre point de vue, plus proche de notre propos, Eve est surtout une mère « phallique », atteinte d’une pathologie se manifestant par une hyper possessivité (elle est seule, apparemment à s’occuper de ses enfants et seule à les nommer.) faisant clairement de Caïn une acquisition (on n’acquiert en principe que ce qui nous manque) et d’Abel un enfant considéré comme rien, comme un être inutile, puisque par son premier fils, Eve a comblé son manque.

CAÏN

Le nom de Caïn se retrouve en Genèse 4 :1, et la phrase censée être prononcée par la « mère Eve » comporte un curieux jeu de mot, perceptible seulement aux hébraïsants. Je le reproduis ci dessous, d’abord dans une translittération non conventionnelle, et enfin dans une traduction littérale personnelle :

Genèse 4:1

« ve ha Adam yada êt Ava ishto, vatahar, vateled êt qaïn vatomer “qaniti ish êt YHVH » »
Et l’Homme connut (sexuellement ) Eve sa femme, et elle fut enceinte, et elle enfanta Caïn (= »une acquisition ») en disant : « j’ai acquis un homme avec YHVH »

Traduite ainsi littéralement, même si elle perd de son attrait littéraire, la phrase est « grosse » de sens, si je puis me permettre ce calembour : Le genre humain (c’est bien le sens littéral de Ha Adam, avec l’article) fait l’amour avec sa femme qui est nommée peut-être génériquement comme étant une « porteuse, ou une dispensatrice de vie » qui tombée enceinte enfante un fils qu’elle appelle « acquisition », tout en s’exclamant « qu’elle a acquis un homme, un « mâle » avec…Dieu !

Si je ne craignais de verser dans la grossièreté, j’emploierais un terme plus « cru » pour constater que voilà le « père Adam » devenu le premier cocu de l’histoire humaine, puisque le premier fils de sa femme est, selon ses dires à elle, fruit d’un rapport avec Dieu !

Quand je disais que l’histoire de l’humanité commençait bien mal, c’était presque un euphémisme ! Mais ce n’est malheureusement pas tout :

Le nom de Caïn, on le voit au travers du jeu de mot souligné en caractères gras dans le texte, est bien dérivé de la même racine que le verbe qanah qui signifie, à la 3ème ps de l’accompli qal : « j’ai acquis ». Mais ce même nom, ce même mot « caïn » se trouve dans un autre passage biblique non plus pour désigner une personne humaine de sexe mâle, mais bien une lance, ou, selon les traductions françaises les plus habituelles, un épieu ! Voilà un bien curieux symbole dont la signification saute aux yeux!

Ce mot se trouve dans le second Livre de Samuel, au chapitre 21, verset 16 :
2 Samuel 21:16

« Veyishbo bnov ashêr bilidi haraphah oumishqol qeino shlosh mevot mishqol nehrshêt vehou hraguour hradasha vayomer lehakot êt-David»
Et Jishbi-Benob, qui était des enfants du géant ;le poids de sa lance était de trois cents sicles d'airain, et il était ceint d'une armure neuve, et disant qu’il allait frapper (pensait frapper) David.

Bref, il ne faut pas chercher bien loin pour constater que ce premier fils de Eve est bien pour elle la « récupération » de ce qu’elle ressent comme un manque essentiel, « récupération » qu’elle attribue quasi magiquement à Dieu !
Et par conséquent, le moins qu’on puisse dire de Caïn est qu’il n’est pas un enfant désiré pour lui même, mais considéré comme l’objet qui vient combler le manque phallique de sa mère. Or il est évident que ces « enfants non désirés », considérés comme des choses et donc dépersonnalisés, sont toujours en passe de devenir, à un moment où l’autre de leur vie, des hommes ou des femmes atteints de problèmes identitaires, manifestés souvent par ce que l’on pourrait ranger dans la catégorie des « folies du moi ». Ce qui sera effectivement le cas de Caïn, quelques versets plus loin…

Abel

Il n’a pas, le pauvre, beaucoup plus de chances que son frère. Sa mère ayant comblé son manque avec Caïn, son aîné, lui ne paraît plus guère compter à ses yeux, comme semble d’ailleurs l’indiquer son patronyme, fait d’un mot qui signifie littéralement « vapeur » ou « souffle », dans un sens évidemment totalement différent d’un autre « souffle » qui est celui de Dieu, la « ruach ». Ici il s’agit d’un souffle qui n’est rien du tout, et qu’un autre texte, celui de Qohelet (l’Ecclésiaste ) traduit par « vanité ». Comme on peut le constater dans les deux versets hébreux en Genèse 4:2 et en Qohelet 1:2,il s’agit bien exactement du même mot, qui s'écrit exactement de la même manière !

Dans Qohelet 1:2, le mot « abel » apparaît quatre fois, dont une fois au masculin pluriel. Dans Genèse 4 :2, il apparaît deux fois, les deux fois au singulier. Et c’est bien le même mot !

Bien sûr, on pourra éventuellement objecter que la vocalisation est parfois différente entre les deux textes, mais cela ne compte absolument pas dans la mesure où cette vocalisation fixée au moyen notamment de ce qu’on appelle les « points massorétiques » est en fait une œuvre très tardive destinée à stabiliser le sens du texte et à lui ôter une part de ses possibilités interprétatives. C’est l’œuvre de ceux que l’on a appelé les « Massorètes », qui, du VIIe au Xe siècle de notre ère, assurèrent, en Palestine et en Babylonie, la fixation définitive des écrits sacrés en langue hébraïque ou araméenne. Et cela se rapporte aussi, d'autre part, aux indices graphiques résultant de cette stabilisation, devenue péremptoire, des Écritures …La massore écrite comprend deux éléments : en premier lieu, des notes marginales (par exemple, la correction, qui reçut le nom de qerê, « à lire », d'un mot marqué dans le texte d'un cercle ou d'un astérisque et que l'on appelle ketib, « écrit ») et des annotations terminales. Le second élément consiste en des signes intratextuels, qui sont de deux sortes : d'une part, tout un système de points-voyelles dont on dota les lettres hébraïques (qui, comme dans les autres langues sémitiques, n'étaient que des consonnes) et grâce auquel on supprimait l'ambiguïté de sens à laquelle prêtait l'écriture purement consonantique (lu dâbâr, dbr signifie « parole », mais « peste » si on le vocalise dêbêr) ; d'autre part, des accents, destinés eux aussi à uniformiser dans la lecture le découpage rythmique et donc la compréhension des textes .

On ne peut, évidemment, lisant les derniers mots de cette définition essentiellement tirée de l'encyclopédie Universalis, ne pas songer à cette phrase qu’on attribue à Freud, arrivant à New York à bord du « George Washington », à l’adresse de Jung, qui au début du XXème siècle comptait encore parmi ses amis : « Ils ne savent pas que nous leur apportons la peste », phrase rapportée bien plus tard par Jung à Jacques Lacan. Mais ceci, aurait dit Kipling, c’est une autre histoire ! Revenons donc à la nôtre…

Et notre histoire à nous confirme que les deux premiers fils du premier couple humain, ne pouvaient être que des « enfants à problèmes », issus d’un couple passablement hors normalité !

Une mère phallique, un père absent, ayant à charge un fils aîné considéré par sa mère comme son « acquis », sa chose, et un puiné sans consistance, quasi inexistant. Si c’est là le moule de notre humanité, on comprend soudainement certaines choses !

Des choses qui se conçoivent bien et s’énoncent donc clairement :

Souvenons-nous de quelques traits psychologiques et biologiques particulièrement importants chez l’humain :

1°. Un « petit d’homme », même né à terme, et donc après 9 mois de grossesse, vient au monde comme un prématuré, qu’il restera d’ailleurs plus ou moins sa vie durant.
2°. C’est cette prématuration inéluctable et durable qui va générer chez lui, plus particulièrement dans certaines situations trop difficiles à gérer, un « sentiment d’impuissance », sentiment qu’il tentera de combler au travers de l’image positive qu’il éprouve de lui-même.
3°. Or, cette « image », perçue par exemple dans le reflet renvoyé par un miroir ou par toute surface brillante, lisse et plane comme la surface d’une eau calme, évocatrice sans doute pour nombre d’entre nous le personnage de Narcisse peut induire toutes sortes de réactions qui ne sont pas nécessairement pathologiques, mais qui bien évidemment peuvent le devenir.

Quelques exemples :

• Le jeune chien, qui aboie son reflet et lui manifeste son agressivité naturelle car il perçoit cette image comme celle d’un autre, et particulièrement comme celle d’un intrus, qu’il lui faut sinon éliminer, du moins chasser de son territoire.
• Parc contre, l’être humain, qui ne reconnaît plus sa propre image dans celle que lui renvoie le miroir manifeste une pathologie du « Moi » qui risque de l’amener à vivre certaines névroses plus ou moins graves.
• Enfin on peut évoquer aussi l’image du miroir utilisée dans certains contes de fées, beaucoup moins anodins qu’il n’y paraît à première lecture, comme dans celui de « Blanche Neige » : se mirant dans son miroir magique, la « marâtre » l’interroge pour savoir « qui est la plus belle », et s’entend répondre que c’est Blanche Neige, cette « autre » qui devient, ipso facto l’objet de sa haine et de sa folie destructrice.

C’est ce genre de sentiment qui peut amener certaines personnes à s’infliger des « destructions » plus ou moins symboliques comme des marquages et des scarifications. Curieusement, Caïn, qui a tué son frère a en quelque sorte détruit l’image de son propre « Moi », et sera « marqué » pour sa faute… Mais ce sera du même coup un marquage qui le préservera aux yeux de ses semblables ! Une identification comme « autre » ? comme « différent » ? Peut-être est-elle du même ordre que celle des tatouages communs à certains groupes humains…

Je note aussi que, dans le récit biblique de la création, du moins dans le premier de ces deux récits, un des traits particuliers de l’humain est justement qu’il est façonné « à l’image et à la ressemblance de Dieu », qui LE crée mâle et femelle.

Pas plus que son créateur dont il est le reflet, l’Homme originel n’est sexué.

Ou plutôt on peut dire de lui qu’il est une unité fusionnelle des deux sexes. Et Dieu lui-même dont la plupart des humains se font une « image » masculine possède bien des attributs des deux sexes, ne serait-ce que celui de son « Esprit » et celui de sa « Miséricorde » qui tous deux sont féminins !

Enfin, il nous faut admettre et constater que l’être humain « normal » éprouve une jubilation naturelle à a contemplation de sa propre image, qui peut aller jusqu’à un narcissisme pathologique, et qui le rend de toute manière enclin à se reconnaître préférentiellement dans ce qui lui ressemble, à quelque niveau que se situe cette ressemblance ! Et lorsque les choses se passeront mal, il essaiera d’abimer ou de détruire sa propre image. Chose que vivra d’ailleurs Adam après la « chute », lorsqu’apostrophé par Dieu il lui dira : « ce n’est pas moi qui ai mangé du fruit de l’arbre de la connaissance : c’est la femme qui m’a poussé à le faire ! » Bref, le classique « ce n’est pas moi, c’est l’autre ! ».

Un relationnel vecteur d’agressivité :

Ce phénomène psychologique qui pousse l’homme à voir dans l’autre le reflet de son propre « moi », de sa propre personne, le pousse aussi à une forme d’agressivité typique de son espèce, qui n’a rien à voir avec l’agressivité animale. Ce dernier, lorsqu’il fait preuve d’agressivité, c’est généralement pour se défendre, défendre sa proie, sa progéniture ou encore sn territoire. L’homme, lui, peut s’avérer être ou devenir agressif pour de tous autres motifs, souvent d’ailleurs « gratuits », voire pervers.
Mais cette agressivité gratuite, à l’égard de celui qu’il identifie comme sa propre image est en fait tournée contre lui-même et devient dès lors une forme de pulsion suicidaire. Caïn, tuant Abel, tue en quelque sorte son propre Moi, ce qui le voue au bannissement ! Et tout ça, au départ, à cause d’un « manque » commun à toutes et tous !


« Il leur « manque » donc quelque chose ? »

Oui, certainement... Mais pour continuer dans le même registre du langage vulgaire, ce n’est pas vraiment une « case » qu’il leur manque : c’est un phallus !
Et cela, que nous le voulions ou non, que nous soyons fille ou garçon, que nos tendances sexuelles soient hétéro, homo ou même « bi », ce manque-là, nous le portons tous en nous, que nous en soyons ou non conscients. Il nait simplement de la réminiscence de cet instant furtif où, dans le ventre de notre mère, nous n’étions ni fille ni garçon, tout en étant les deux à la fois !

Généralement, chez la fille, ce manque pourra se traduire par un désir d’enfant non pour sa personne mais pour l’objet qu’il représente, ou il se manifestera plus subtilement sous la forme d’un sentiment d’infériorisation, encore renforcé dans les sociétés ou les cultures machistes, particulièrement ancrées dans la sphère du « religieux ».
Chez le garçon, cela se manifestera par une crainte de ne pas être à la hauteur, crainte qui se répercutera dans les différents domaines de son vécu, que ce soit sur le plan professionnel, sportif ou, bien sûr intellectuel et sexuel.

Eve est de toute évidence une mère possessive !

Très souvent, ces mères se centrent sur leur premier enfant, au détriment des éventuels suivants. C’est bien le cas en ce qui concerne Caïn et Abel.
Le mal-être de ces mères se manifeste en l’absence de l’enfant, absence que n’est pas à même de combler le père, lui-même perpétuel « absent », que ce soit au niveau du fait d’assumer ses responsabilités les plus élémentaires, ou à celui d’une place non vraiment tenue, ou encore à celui d’un quelconque sentiment d’impuissance qu’il peut d’ailleurs « camoufler » sous certains aspects machistes visant à cantonner la femme dans certains rôles, comme celui de l’éducation des enfants, domaine dont l’homme se dédouane trop souvent en disant que ce n’est pas son affaire !

Adam, lui, apparaît plutôt comme un personnage assez falot, ramené à un rôle de géniteur, voire même de moins que cela, dans la mesure où Eve s’écrie « J’ai acquis un homme mâle AVEC LE SEIGNEUR » : elle l’a enfin, son « mec », mais ce n’est pas le fils de son « mari officiel » ! hw")hy>-ta, vyaiÞ ytiynIïq'. Difficile d’être plus explicite !

Et les gosses dans tout cela ?

L’enfant concerné par le désir phallique de sa mère, et qui s’en trouve ravalé à un objet destiné à combler le manque maternel ne peut se reconnaître comme tel, et par voie de conséquence, se croit autre à ses propres yeux… Ce qui débouche dans nombre de cas sur des psychopathologies plus ou moins graves de type paranoïaques . Or, nous l’avons déjà largement évoqué : l’image de mon « moi » passe obligatoirement par celle de mon reflet, par ce en quoi ou en qui je me reconnais : en clair, elle passe par l’ « autre », en l’occurrence, pour Caïn, par cet Abel qui n’est rien du tout, et contre lequel il se tourne agressivement pour le tuer. Il croit que Dieu lui en veut, qu’il l’a rejeté e »n agréant le sacrifice de son frère, devenu objet de sa haine et de sa folie destructrice, et en fait autodestructrice. Ce faisant, il se « trompe de cible », ce qui, curieusement, est le sens premier du verbe hébreu le plus communément admis pour rendre le fait de « pécher ».
En effet, si on lit bien l’histoire, et si on y cherche, a priori, un fautif, c’est plutôt du côté de Dieu lui-même que se trouvent dirigés nos regards : un Dieu passablement injuste et qui, à tout le moins, manque totalement de la psychologie a plus élémentaire : si rien dans notre texte ne dit explicitement qu’il ait rejeté l’offrande de Caïn, rien non pus ne dit qu’il lui ait accordé le moindre regard. Pauvre Caïn qui se retrouve inconsidéré, lui qui souffre déjà d’une mauvaise image de soi !

D’un dieu créé à un Dieu créateur…

J’ai beau retourner ma Bible dans tous les sens, jusqu’au chapitre 4 de Bereshit, je n’y trouve pas le moindre indice de la moindre règle cultuelle, pas la moindre demande ni d’exigence de culte de la part de « Dieu » vis à vis de l’homme qui lui devrait allégeance.

Où donc Caïn et Abel ont-il été chercher le fait qu’il leur faille adresser à « Dieu » un sacrifice d’action de grâce ? Ne serait-on pas plutôt devant le fait plus ou moins banal de fils qui veulent faire plaisir à leur mère, et qui font tout pour s’en faire remarquer, pour être reconnus par elle comme des personnes à part entière ?

Pas étonnant dès lors que Caïn en vienne à passer sa rage sur sa mauvaise image, personnifiée par Abel ! Et ne se pourrait-il pas, finalement que « Dieu » soit l’image, créée par l’homme, d’un père déficient ? On en arrive presque à l’histoire de l’œuf et de la poule et à se poser la question de savoir qui est premier ? Qui existe avant l’autre ? Est-ce l’un qui sort de l’autre ou l’autre qui sort de l’un ? …A chacun de répondre, s’il le peut ! Personnellement j’y ai renoncé.

L’humain, « sommet » de la création ou ratage imprévu ?

Un fait est que l’homme, si souvent et longtemps source de l’émerveillement des évolutionnistes de l’école darwiniste semble bien être un cas d’espèce, à la fois unique en son genre et pour le moins passablement détraqué ! Détraquage ou dysfonctionnements qui semblent d’autant plus marqués à mesure qu’il se trouve de plus en plus éloigné de la nature, sa « Mère Nature ». Et il semble avéré que les humains qui vivent le plus en symbiose avec la nature soient les moins exposés aux pathologies de tout poil.

Nous serions donc non pas la résultante d’une évolution d’un quelconque grand singe plus apte que ses congénères, mais le fruit d’un dérèglement constitutif d’une espèce nouvelle, surgie on ne sait trop ni quand ni comment…

Lacan constate d’ailleurs que l’agir humain, même dans ses gestes les plus élémentaires, comme celui de se nourrir, n’est quasiment jamais dicté par des instincts répondant à des nécessités vitales. Bien sûr que manger est pour nous aussi primordial et vital que pour n’importe quel animal. Mais il n’y a que nous à le faire par plaisir ou par mode, à inventer des recettes, à concocter des plats, à user (et souvent à abuser !) de ce que nous appelons les « bonnes » choses qui parfois en viennent à ruiner totalement notre santé .

De même nous sommes les seuls à manifester de l’agressivité gratuite, et à dévoyer l’instinct naturel de survie au profit du génocide ! Est-ce donc en cela que nous serions à l’image et à la ressemblance de Dieu, ou bien ce dernier n’est-il qu’une invention de notre esprit tordu servant d’excuses et de prétexte à nos propres déviances ? Autant de questions qui bien sûr restent ouvertes mais qui , dans une certaine mesure, me permettent de conclure, si tant est que ce soit possible :

La famille humaine, la plus équilibrée qui soit, est et reste une famille à risques !

Notre « première » famille humaine qui semble bien éloignée d’un modèle idéal dans laquelle on l’a trop souvent confinée, ne compte finalement parmi ses membres, que des psychopathes plus ou moins atteints entre lesquels viennent s’immiscer de curieux personnages ! Une famille « type » qui illustre fort bien les failles et les carences souvent déterminantes de l’a-venir de tout être humain, de la construction ou de l’éclatement de son Etre. Est-ce aussi à cause de ce curieux phénomène de la lecture, préexistant au verbe exprimé de l’écriture ou au verbe lui-même, source lui aussi dans l’histoire biblique d’une des plus grandes fractures humaines qui ait subsisté jusqu’à nos jours à la suite du mythe de Babel, et source avérée dans l’histoire de l’Eglise, d’autres fractures liées à son interprétation et à celle de sa prétendue préexistence ?

Affaire à suivre, en tous les cas !

Jean-Marie DEMARQUE


Bibliographie :

S. FREUD, Un événement de la Vie Religieuse, Traduction française de Marie Bonaparte, revue par l’auteur, 1932. Dans la même série, et de la même traductrice, même année : « Actes obsédants et exercices religieux »Rééditions électronique dans le cadre de la collection « Les classiques des sciences sociales », téléchargeable en PDF sur le site Web http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html
L. BASSET, Sainte Colère-Jacob, Job, Jésus , Labor et Fides/Bayard, Genève, Paris, 2002.
J-L. DUMAS, Histoire de la Pensée – Philosohies et Philosophes, T. 3 : Temps Modernes, Poche « références », Tallandier, Paris, 1990.
G. W. F. HEGEL, Phénoménologie de l’Esprit, traduction française par J. Hyppolite, Aubier, Paris, 1939-1941
M. HEIDEGGER, La Phénoménologie de l'esprit, Gallimard, Paris, 1984
A. KOJEVE, Introduction à la lecture de Hegel, Gallimard, Paris, 1979
J.P. SARTRE, L’existentialisme est un humanisme, Nagel, Paris 1946, cité in « Histoire de la philosophie par les textes », Isabelle MOURRAL & Louis MILLET, Gamma, Paris, 1988, pp 348-349, T.230.
ENCYCLOPOEDIA UNIVERSALIS, Paris 2004
A. UNTERMAN, Dictionnaire du Judaïsme, Thames &Hudson, Paris, 1997, traduction française par Catherine Cheval
M. ELIADE, Histoire des Croyances Religieuses, 3 T., Payot, Paris , 1976
M. ELIADE, Traité d’Histoire des religions, Payot, Paris, 1949.
J. EISENBERG & A. ABECASSIS, A Bible Ouverte, Présence du Judaïsme, Albin Michel, Paris 1978