dimanche 11 octobre 2009

Psychanalyse et idéaux humains.


Il n’est pas nécessaire d’être spécialiste pour constater que, dans notre société malade de ses mutations, la souffrance mentale progresse à grands pas et est en train de prendre la tête des dysfonctionnements de l’être humain. Augmentation des cas de dépressions graves, montée alarmante du nombre de suicides, particulièrement aux deux extrêmes de l’existence : ce sont les jeunes et les personnes âgées qui sont particulièrement touchés, avec une constante dans les facteurs déclenchant : celle de la solitude, de l’isolement, que celui-ci soit de nature sociale, culturelle ou autre.
Un peu comme dans la Fable des « Animaux malades de la peste », tous ne meurent pas, mais tous sont atteints !
Quelques chiffres pour nous en convaincre, si besoin est :
La Belgique, avec un taux de suicide estimé à 23 pour 100.000 habitants se situe au-dessus de la moyenne mondiale (14,5 pour 100.000 habitants).
Avec 2146 suicides sur un total de 103.800 décès en 1997, au niveau de l'ensemble de la population, le suicide est la 10ième cause de décès.  Il faut remarquer que si le suicide est la 10ième cause de décès au sein de la population générale, c'est la première cause extérieure de décès!  Cela signifie que, pour l'année 1997, chaque jour, en moyenne six personnes se sont suicidées en Belgique.
Le nombre de décès par suicide est donc bien supérieur au nombre de décès par accidents de la route, chutes accidentelles, et autres accidents. De plus, parmi les accidents de la route, des suicides sont parfois masqués.
Il existe par rapport au suicide toute une série d'idées reçues quant à la vulnérabilité particulière de certains groupes de personnes.  S'il est vrai que la problématique du suicide se pose avec plus d'acuité dans certaines classes d'âge, il touche toutes les couches de la population et toutes les classes sociales.
La différence la plus flagrante dans l'analyse des taux de suicide est la différence hommes - femmes.  Nous constatons en effet que, dans nos sociétés occidentales, les hommes se suicident deux à trois fois plus que les femmes.
Remarquons qu'en ce qui concerne les tentatives de suicide, la tendance s'inverse, puisque la proportion de tentatives de suicide est de 1 à 3 chez les hommes et de 1 à 14 chez les femmes.
Toujours selon les statistiques, les personnes les plus sensibles aux idéations ou aux comportements suicidaires sont souvent soit les adolescents soit les personnes âgées. De fait nous savons que la problématique du suicide se marque de façon importante aux deux extrémités de l'existence : un taux élevé de tentatives de suicide à l'adolescence pour un taux élevé de suicides chez les personnes âgées.  Autrement dit, si les jeunes et les femmes essayent plus souvent de mettre fin à leur jour, les hommes et les personnes âgées y arrivent plus souvent[1].
Données chiffrées[2]
La source principale d'information statistique concernant le suicide pour le pays dans son ensemble provient de l'Institut National des Statistiques (I.N.S.). Les informations dont il dispose concernent uniquement le suicide accompli. Contrairement à celui-ci, il n'existe en effet aucun relevé officiel des tentatives de suicide. Les données recueillies par l'Institut proviennent des certificats de décès rédigés par le corps médical (généralistes, médecins légistes, hôpitaux, etc.).
Les données les plus récentes dont nous disposons pour la population belge totale datent de 1997.  Des données plus récentes existent pour la Région Flamande (accéder au site de la Région Flamande ) et pour la Région de Bruxelles-Capitale (accéder au site de la Région de Bruxelles-Capitale ).
De façon générale, il semblerait que les chiffres disponibles sous-estiment le nombre réel de suicides. En effet, un certain nombre de ceux-ci ne sont pas répertoriés comme tel: par ex., certains accidents mortels de la route(suicide maquillé), des accidents du travail, les équivalents suicidaires (toxicomanie, alcoolisme, tabagisme, ...). De plus, dans certaines circonstances, les familles préfèrent éviter que le suicide d'un proche soit  déclaré officiellement. Dès lors, nous devons considérer avec précaution et circonspection les chiffres dont nous disposons.


On peut évaluer aujourd'hui le nombre de tentatives de suicide en Belgique à 200 par jour, et estimer à 7 le nombre quotidien de morts par suicide dans notre pays, soit environ 2500 morts par an. (700.000 morts par an dans le monde.) Le suicide est, avant les accidents de la route, la PREMIERE CAUSE DE MORT CHEZ LES JEUNES !


Des chiffres qui parlent d’eux-mêmes et font d’autant plus réfléchir que probablement, nous avons tous parmi nos connaissances ou nos proches quelqu’un qui a déjà évoqué la possibilité de son suicide, quelqu’un qui a « essayé » ou… qui a « réussi » !
Le suicide, présent à bien des degrés de la maladie mentale[3] n’est pas une alternative, pas plus qu’il n’est une volonté de mort. Tout au plus peut-on dire qu’il relève de la pulsion. Et dans la grande majorité des cas il recouvre plus une idée de faire cesser une souffrance trop grande et devenue insupportable.
Une souffrance qui cependant est et reste toujours curable, et pas seulement, même s’ils s’avèrent parfois indispensables, avec des médicaments. L’humain se soigne par l’humanité !
Le simple fait de parler, de dire ce qui lui pèse, l’obsède, le fait souffrir, et de pouvoir le dire à un « écoutant » neutre et bienveillant, qui ne porte aucun jugement, ce simple fait est extraordinairement libérateur. Mais sans doute est-ce aussi un des maux de notre société moderne : on ne prend plus le temps d’écouter, et on sait si bien cela qu’on s’abstient de parler puisque, de toute manière, ce que l’on dirait ne serait pas entendu, voire même serait… »mal-entendu » !
Le patient (j’entends ce mot dans son acception étymologique qui désigne quelqu’un en état de souffrance) n’ose guère franchir le pas, d’autant qu’il ne sait, en vérité, vers qui se tourner. Et le tiers qui pourrait intervenir dans l’apaisement de sa souffrance en lui prêtant une oreille attentive ne sait trop s’il peut s’autoriser à le faire, ni en quels termes, encore moins dans quel cadre !
C’est que tout est codifié, et de plus en plus. Tellement bien que pour un patient qui a fait l’énorme effort de vouloir faire appel à l’aide dans ce mal-être qui lui ronge le goût de vivre, commence bien souvent un véritable parcours du combattant. Pour lui comme pour ses proches d’ailleurs, si ces derniers s’impliquent dans son parcours.
Ainsi le père de ce jeune drogué qui un matin accompagne son fils, à bout de souffrances dans l’espoir de lui trouver un lieu où il puisse être valablement pris en charge, un praticien quel qu’il soit qui puisse l’écouter, le comprendre, lui venir en aide, et qui se voit confronté aux absurdités des « règles » médicales qui font qu’il ne trouvera, après bien des tentatives infructueuses qu’un pis aller qui in fine, précipitera le décès du jeune homme…
Ainsi ces dizaines de patients au bord du passage à l’acte, à qui on dit poliment qu’il faut attendre tant ou tant de semaines ou de mois avant d’être pris en charge.
Ou encore ceux et celles qui, faute de moyens financiers, parce que leur mal-être physique est intimement lié à leur précarité matérielle, ne savent se permettre même des soins dans des centres aux honoraires adaptés (et qui sont les premiers à être saturés !).
Certains professionnels de la santé mentale ont cependant franchi un pas : Ainsi une grande Association de Psychanalyse crée des centres où des patients peuvent êtres accueillis et entendus gratuitement par des psychanalystes qui, offrant leurs services et leur écoute sans rémunération de la part de leurs patients ne travaillent pas pour autant au rabais, que du contraire !
A une autre échelle, on voit aussi d’autres professionnels franchir les limites de leurs cabinets ou de l’Institution pour aller au devant de la souffrance humaine, la fréquentant au creuset même de sa genèse.
Je ne pense pas que les soins au personnes, en matière d’écoute, de relationnel, de bienveillance, de discrétion, de neutralité soient l’apanage de seuls « autorisés officiels », que leur qualité dépende du respect de règles en matière de cadre, de rythme ou d’argent. Tout est, je crois, question d’appréciation, au « cas par cas ». Question d’humanité, bien plus que de rigidité !
A mon patient à l’esprit plus que casanier et solitaire, à celui refusant tout ce qui se voit bridé par la conventionalité, qui –allez savoir pourquoi ?- est « allergique aux psys » et qui pourtant me demande une aide, vais-je refuser mon oreille sous prétexte qu’il refuse de venir se livrer dans l’espace clos d’un cabinet, et à fortiori de s’allonger sur un divan, et repousser son invitation si cordiale et expérimentalement intéressante de venir m’assoir à sa table pour discuter de tout et de rien ? Sous prétexte qu’il ne respecte pas les sacro-saintes règles ? Oserai-je prétendre que l’acte analytique, ô combien difficile à définir dans son absolu, ne puisse avoir lieu dans ces conditions ?
Vais-je refuser un patient sous prétexte que je le connais, directement ou par le truchement de tiers ? Vais-je refuser celui qui ne peut rien payer en argent, mais à qui pourtant il coûte tant de se mettre en question et de décider qu’il a besoin d’aide ?
Autant de questions que refuseront sans doute même de se poser les aficionados de la déontologie. Je ne leur en poserai qu’une : Quelle déontologie ?
Freud lui-même a analysé sa fille ; il a analysé Mahler en marchant, au cours d’une seule et unique séance - promenade. Il a rêvé à un lieu de soins accueillant et gratuit.
Dépassé, Freud ? Allons donc ! Relisez-le, ou lisez-le : vous découvrirez, entre les lignes, un homme qui fut un génie, mais aussi quelqu’un d’humain, de humble et d’attachant. Quelqu’un de terriblement actuel et interpellant. Et à sa suite, ceux et celles qui ont marqué l’histoire de la psychanalyse ne le furent pas moins, comme ils furent très souvent résolument innovants, malgré les sarcasmes de leurs détracteurs.
C’est en convaincu que je l’affirme : dans son non-conformisme, dans sa volonté de comprendre l’incompréhensible, la psychanalyse ressemble parfois à la quête d’idéal d’un Don Quichotte. Mais elle peut transfigurer des vies, et les transfigurer dans toute leur profondeur. Et c’est cela seul qui compte et qui la justifie.

Jean-Marie Demarque
Psychothérapeute - Analyste




[1] Source : Centre de Prévention du Suicide - Belgique
[2] Source : Centre de prévention du suicide - Belgique
[3] J’ai bien évidemment conscience que l’acte suicidaire n’est pas seulement un corollaire de la maladie ou de la souffrance mentale. La souffrance physique peut aussi y mener. Et je fais abstraction, dans cet article, des cas de « suicide héroïques ».

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