Quelques réflexions, à propos des lettres hébraïques…
Introduction
C'est à juste titre que le lecteur pourra s'interroger sur un tel titre, et sur son objet : celui d'une relecture de textes hébraïques fondateurs, au départ de la Tradition qui considère chaque lettre de l'alphabet hébraïque comme une entité dotée de vie et revêtue de facettes multiples.
Un voyage certes inattendu, mais auquel je vous convie avec enthousiasme, sachant d'avance que si vous acceptez de le vivre, vous ne le regetterez pas.
En avant donc, "kadima" pour cette aventure initiée par l'auteur même du Livre des Façonnements, le "Sefer Yetsira". Nous verrons peu à peu, au gré des étapes ponctuées par chaque lettre, quel rapport cette réflexion peut avoir avec la psychanalyse et, peut-être nous surprendrons-nous à nous interroger sur le fait que cette dernière soit née des réflexions d'un homme parfait agnostique, voire athée, mais resté profondément et essentiellement, au sens fort et noble du terme, un Juif, et qui plus est un "Juif Pensant' !
Quelques extraits de textes, pour leur beauté littéraire et en guise de "mise en bouche :
- Au commencement était le Verbe, et le Verbe était tourné vers Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement tourné vers Dieu. Tout fut par lui, et rien de ce qui fut, ne fut sans lui. En lui était la vie et la vie était la lumière des hommes, et la lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point comprise. (Jn 1 :1-5)
- "N’allez pas croire que je sois venu abroger la Loi ou les Prophètes: je ne suis pas venu abroger, mais accomplir. Car, en vérité je vous le déclare, avant que ne passent le ciel et la terre, pas un i, pas un point sur l’i ne passera de la loi, que tout ne soit arrivé. Dès lors celui qui transgressera un seul de ces plus petits commandements et enseignera aux hommes à faire de même sera déclaré le plus petit dans le Royaume des cieux; au contraire, celui qui les mettra en pratique et les enseignera, celui-là sera déclaré grand dans le Royaume des cieux. Car je vous le dis: si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des Pharisiens, non, vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux. (Mt 5 :18-20)
- Apocalypse 1:8 Je suis l‘Alpha et l‘Oméga, dit le Seigneur Dieu, celui qui est, qui était et qui vient, le Tout-Puissant.
- Apocalypse 21:6 Et il me dit: C’en est fait. Je suis l‘Alpha et l‘Oméga , le commencement et la fin. A celui qui a soif, je donnerai de la source d’eau vive, gratuitement.
- Apocalypse 22:13 Je suis l‘Alpha et l‘Oméga, le Premier et le Dernier, le commencement et la fin.[1]
C’est ce que semble déclarer en substance le Christ, dont les dits nous sont rapportés par des Ecrivains Sacrés qui connaissaient intimement la « clé » des Ecritures, le secret, le sens caché, l’Esprit de la Lettre, parce qu’ils en étaient pétris, comme l’était aussi l’auteur de cette savoureuse histoire, qui nous est transmise par le Zohar :
« … Avant la Création du Monde, les lettres, les 22 lettres existaient déjà. Mais elles demeuraient mystérieuses et decrètes, cachées aux profondeurs des arcanes divins. Lorsque Dieu prend la décision de créer, voici que les lettres se mettent en mouvement et, telles les 22 princesses d’un cortège royal, elles s’avancent l’une après l’autre, vers le trône divin. Mais elles se présentent dans l’ordre inverse de celui de l’alphabet normal ; si bien que c’est le Tav, la dernière, qui, de fait, effectue la première son entrée et présente, la première, sa requête[2] :
-Maître du Monde, de grâce, sers-toi de moi pour faire ta Création. Ne suis-je pas la lettre qui achève le mot qui est gravé sur ton sceptre : le mot de « Vérité[3] » ?
- Tu es, en effet, digne, répond le Saint, béni soit-Il. Mais il ne convient pas que je me serve de toi pour faire la création du monde, parce que tu es destinée à être marquée sur le front des hommes fidèles qui auront observé ma loi, depuis le Aleph jusqu’au Tav, et aussi parce que tu formes la lettre finale du mot « mort[4] » ; pour ces raisons, il ne me convient pas de me servir de toi pour faire la Création du monde.
Et la lettre Tav de se retirer… Que pouvait-elle répliquer ?
C’est le tour de la lettre Shin. Elle se présente et se prévaut de constituer l’initiale du Nom divin.
- Il convient que l’on se serve de l’initiale du nom sacré Shaddaï[5], pour faire la Création du monde.
- En effet, répond le Saint, béni soit-Il, tu es digne, tu es bonne et tu es vraie. Mais des faussaires se serviront de toi pour affirmer les pires mensonges, en t’associant les deux lettres Qof et Resh, pour former le mot « mensonge[6] » (…)
Et la lettre Shin se retira, tandis que ses compagnes Qof et Resh n’osèrent même pas se présenter !
Toutes les autres lettres défilent ainsi, tour à tour, alléguant chacune ses droits et ses propres qualités la rendant spécialement apte pour être l’outil privilégié de la Création du monde. Et, chaque fois, le Saint, béni soit-Il, rétorque par un argument irréfutable qui brise toutes leurs prétentions. Nous arrivons ainsi à l’avant-dernière lettre, la lettre Bet.
- Maître de l’Univers, qu’il te plaise de te servir de moi pour faire la Création du monde, car je suis l’initiale du mot dont on se sert pour te bénir, « Barouch[7] ».
Et le Saint, béni soit-Il, lui donne –enfin- raison :
- C’est, en effet, de toi que je me servirai pour inaugurer la Création du monde, et tu seras ainsi la base de toute « l’½uvre de la Création ».
Et la lettre Aleph, la toute dernière, c'est-à-dire la toute première, qu’est-elle devenue ?
Elle demeura à sa place, sans se présenter.
- Aleph, Aleph, pourquoi ne t’es tu pas présentée devant moi, comme toutes les autres ?
Et Aleph répondit :
- Maître de l’Univers, voyant toutes les lettres se présenter devant Toi inutilement, pourquoi me serais-je présentée aussi ? Puis, comme j’ai vu que tu as déjà accordé à la lettre Bet ce don précieux, j’ai compris qu’il ne sied pas au roi céleste de reprendre le don qu’il a fait à l’un de ses serviteurs pour en gratifier un autre.
Le Saint, béni soit-Il, s’écrie alors :
- Ô Aleph, Aleph, bien que ce soit la lettre Bet dont je me servirai pour faire la création du monde, tu seras la première de toutes les lettres et je n’aurai d’unité qu’en toi ; tu seras la base de tous les calculs et de tous les actes faits dans le monde, et on ne saurait trouver d’unité nulle part, si ce n’est dans la lettre Aleph ! [8]
Lorsque selon les traditions communes aux trois "religions du Livre", Dieu se révèle à Moïse, lorsqu’il lui fait don de la Loi, de la Thora, terme qui signifie « élever , éduquer », il lui remet, selon la Tradition, le texte Ecrit, ainsi que la « Loi Orale », qui vient le compléter, et surtout l’expliciter, le magnifier. Ce faisant, il lui remet des clés indispensables pour pouvoir atteindre un niveau de compréhension du Texte Sacré que, bien souvent nous n’imaginons même pas, d’autant plus que ce dernier ne nous est, la plupart du temps, accessible qu’au travers de traductions qui sont toutes, à des degrés plus ou moins graves, des trahisons.
Un ouvrage célèbre de la Kabbale, le « Livre de la Création »[9], s’ouvre en ces termes :
« Par trente-deux voies merveilleuses de sagesse, Dieu a tracé et créé le monde par les trois sens de la racine SFR[10] : le Livre écrit, le nombre, et le récit oral. Trente-deux voies merveilleuses de sagesse : les dix séfirot[11] et les vingt-deux lettres de l’alphabet »
Dans la ligne de pensée de la Tradition, Dieu aurait créé –ou plutôt crée !- tout ce qui existait, existe et existera par son seul verbe. Il dit et cela est ! En Araméen, cela donne une expression que nous connaissons bien, sorte de formule magique que la croyance populaire a attribué aux sorcières ou aux fées : « Abracadabra » ! Ceux qui ont quelques notions d’hébreu y reconnaîtront aisément les deux racines verbales de bara, « créer », verbe dont Dieu seul est sujet dans les écrits bibliques, et de Dibèr[12], « parler ». Encore qu’en hébreu correct il nous faudrait avoir « Abracaamra », le verbe Amar[13], que l’on reconnaît en fin de cette expression se rapportant plus explicitement au dire « créateur ». Dibèr (ou Dabar) se réfère plutôt à un dire « organisateur ». Mais peut-on dissocier création et organisation ? N’oublions pas que la création de ce qui va peupler la terre et l’univers succède au chaos, au Tohu va Bohu[14] , qui donnera, dans notre langue française une autre expression pour désigner un grand désordre ! Le Créateur, après son acte initial du commencement, se révèle être un Organisateur !
Le Peuple Elu a tellement bien compris la profondeur et la magnificence de ce mystère, qu’il a logiquement associé la lettre hébraïque à l’esprit même de Dieu, et lui a conféré un caractère totalement sacré, une réelle puissance de vie. Lorsque nous disons de l’Ecriture qu’elle est « Parole de Vie », nous n’en prenons pas vraiment la mesure. Le sens profond de cette expression "consacrée" va infiniment plus loin qu’une « simple » référence à un acte créateur passé ou lointain : cela se manifeste dans une réelle continuité, continuité créatrice, et continuité de dialogue entre le Créateur et le créé.
Mieux encore, pour les Kabbalistes comme pour les Hassidim, l’univers créé, dans sa dimension matérielle, son agencement, la manière dont il s’offre et se montre à notre perception humaine, repose entièrement sur la structure de l’alphabet hébraïque
Autant de bonnes (ou de très bonnes !) raisons pour essayer d’apprendre au moins à lire l’alphabet hébraïque, pour tenter d’assimiler les rudiments de la grammaire de l’hébreu, pour essayer d’en percevoir les subtilités qui, autrement, risquent de nous échapper totalement.
Jean-Marie Demarque
Psychothérapeute - Analyste
[1] : Sauf mention contraire, les citations sont celles de la TOB, dans son édition intégrale, Cerf, Paris 1975.
[2] : Comment ne pas penser aussi à cette phrase de Jésus qui, évoquant le jugement de ceux qui se présentent devant le trône divin déclare que « les derniers seront les premiers » ?
[3] : en hébreu, « Emet », tma .
[4] : en hébreu, « mavet », twm .
[5] : En hébreu : ydS .
[6] : en hébreu, « sheqer », rqS .
[7] : En hébreu, Kwrb .
[8] : Zohar, traduction citée par Renée de Tryon-Montalembert, reprise par Marc Alain OUAKNIN, dans son ouvrage intitulé « Mystères de la Kabbale », éditions Assouline, Paris, 2000, p. 274-276. Les autres extraits de cet ouvrage, ou les passages s’en inspirant seront dorénavant référencés « MK, Op.Cit, P. …)
[9] : Le lecteur trouvera, plus loin, une traduction et un commentaire du Sefer Yetsira.
[10] : rien à voir, bien évidemment, avec un réseau de téléphonie mobile bien connu de nos voisins français ! Il s’agit de la racine hébraïque du mot hébreu qui désigne généralement le livre, l’écrit, ou encore le scribe, et qui s’écrit, en hébreu rpo.
[11] : ce terme, désignant les « sphères » sera explicité le moment voulu. A noter qu’il ne prend pas de « s » car il s’agit d’un pluriel féminin hébreu (ot). Le pluriel masculin se forme généralement en « im ».
[12] : En hébreu, rma .
[13] : En hébreu rbd .
[14] : Gen 1 :2
[1] : Sauf mention contraire, les citations sont celles de la TOB, dans son édition intégrale, Cerf, Paris 1975.
[2] : Comment ne pas penser aussi à cette phrase de Jésus qui, évoquant le jugement de ceux qui se présentent devant le trône divin déclare que « les derniers seront les premiers » ?
[3] : en hébreu, « Emet », tma .
[4] : en hébreu, « mavet », twm .
[5] : En hébreu : ydS .
[6] : en hébreu, « sheqer », rqS .
[7] : En hébreu, Kwrb .
[8] : Zohar, traduction citée par Renée de Tryon-Montalembert, reprise par Marc Alain OUAKNIN, dans son ouvrage intitulé « Mystères de la Kabbale », éditions Assouline, Paris, 2000, p. 274-276. Les autres extraits de cet ouvrage, ou les passages s’en inspirant seront dorénavant référencés « MK, Op.Cit, P. …)
[9] : Le lecteur trouvera, plus loin, une traduction et un commentaire du Sefer Yetsira.
[10] : rien à voir, bien évidemment, avec un réseau de téléphonie mobile bien connu de nos voisins français ! Il s’agit de la racine hébraïque du mot hébreu qui désigne généralement le livre, l’écrit, ou encore le scribe, et qui s’écrit, en hébreu rpo.
[11] : ce terme, désignant les « sphères » sera explicité le moment voulu. A noter qu’il ne prend pas de « s » car il s’agit d’un pluriel féminin hébreu (ot). Le pluriel masculin se forme généralement en « im ».
[12] : En hébreu, rma .
[13] : En hébreu rbd .
[14] : Gen 1 :2
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